Bilan de la vendange 2022 par Hervé Dantan, Chef de Caves de la Maison de champagne Lanson
“2022 est une année comme la Champagne en a rarement connu. Les millésimes 1976, 1990, 2003 ou plus récemment 2015, 2018, 2019 ou 2020 étaient des millésimes très ensoleillés, mais 2022 est véritablement une année solaire record. Durant toute l’année chaque mois a
été excédentaire au niveau de l’ensoleillement, du jamais vu en Champagne. Si la plupart des autres vignobles français ont souffert de la sécheresse, cela n’a pas vraiment été le cas en Champagne car nous avons eu la chance d’avoir de petites pluies providentielles à des moments stratégiques (lors de la fleur, de la véraison et à la veille de la maturation). Ces apports bien que faibles ont assez bien alimenté la vigne, et les sols crayeux de la Champagne ont su restituer de l’eau quand la vigne en avait besoin pour permettre à la plante de mûrir
correctement. À noter cependant que certains secteurs comme les Riceys ont été davantage exposés au stress hydrique. Les températures ont été chaudes, mais nous n’avons pas connu les excès de 2019. Nous n’avons également pas subi de dégâts majeurs malgré quelques gelées et épisodes de grêle, mais qui restent anecdotiques. 2022 a ainsi été une année viticole très sereine
Je n’aime pas dire qu’une vendange a été exceptionnelle car le terme « exceptionnel » est tellement utilisé qu’il en perd presque son caractère occasionnel. Pour autant, la vendange 2022 est singulière vis-à-vis d’autres vendanges. Elle a été « hors-norme » tant les conditions ont été optimales : de beaux rendements (autour de 14 000 kg/Ha), un état sanitaire irréprochable et des conditions de maturation idéales.
Chez Lanson, nous avons commencé sur le secteur de Montgueux dès le 20 août et nous avons terminé les dernières entrées vendange le 15 septembre. Les dates de début de vendanges ont été assez concentrées autour du 29 août, pour de nombreux secteurs. Dans la mesure où l’état sanitaire ne laissait rien craindre, certains vignerons ont choisi de repousser la récolte de quelques jours afin d’atteindre une maturité optimale. Sur certains secteurs, avoir attendu quelques jours pour une maturité parfaite des raisins (bon niveau de concentration en sucre, goût du raisin, absence de note végétale) a été très judicieux et a permis de récolter des raisins d’une qualité extraordinaire.
Fait assez rare pour être évoqué, l’augmentation significative du degré de maturité en cours (du fait de la qualité du raisin, des rendements et des décisions prises à la veille de la vendange et qui ont été favorables à tous les acteurs de la Champagne) et j’ai pu le constater lors d’échanges avec nos vignerons partenaires.
2022 permet de tourner la page après une année 2021 éprouvante et douloureuse compte tenu des aléas que nous avons connus (gelées, grêle, mildiou).
Habituellement en pleine vendange, l’évolution de la maturité est assez stable. Cette année, nous avons assisté à une progression surprenante du degré de maturité en raison des fortes chaleurs durant les vendanges. Dans certains secteurs on a commencé à récolter le raisin à 10,5 degrés pour finir à plus de 12,5°C. Ces degrés de maturité records laissent augurer un millésime particulier !
En cherchant dans la mémoire des archives de la Maison de champagne Lanson, 2 millésimes ont connu des conditions de maturité similaires : 1976 et 1959.2022 comme tous les millésimes issus d’années chaudes se caractérise par des niveaux de sucres élevés et des acidités plutôt
faibles.Bien que basses, les acidités de cette vendange 2022 restent tout à fait correctes et l’absence de fermentation malolactique pratiquée chez Lanson laisse présager de belles perspectives aux vins de l’année.2022 est aussi une année providentielle pour les vins de réserve car les rendements ont permis d’en reconstituer une grande partie.
La vision dans les vignes de ces magnifiques Chardonnays dorés et de ces Pinots Noirs et Pinots Meuniers d’un bleu immaculé sur fond de soleil radieux qui offrait une lumière extraordinaire, une image que je n’oublierai pas.Le millésime 2018 m’avait déjà marqué par son abondance et sa qualité mais je n’avais jamais vu d’aussi beaux raisins qu’en 2022.
Il n’est pas possible de dire que toutes les vendanges à venir seront précoces, mais nous savons qu’elles risquent de le devenir de plus en plus fréquemment. Il s’agit d’ailleurs de la 7ème vendange d’août depuis 2003. Les années précoces nécessitent une importante réactivité.
En année saine comme 2022 il faut savoir s’adapter à des cinétiques de maturité très rapides, et en année chaude et humide type 2017 il faut être très rapide et précis dans le circuit cueillette pour éviter que le botrytis ne soit trop présent.
Nous avons certainement encore des choses à apprendre sur le suivi de maturité. Si par le passé, nous nous basions principalement sur l’acidité, le sucre et l’indice de maturité, d’autres éléments sont aujourd’hui pris en compte. Il y a plusieurs écoles : pour certains atteindre un degré de maturité à 10,5°C avec une bonne acidité est la condition primordiale et permet de garantir la fraîcheur au détriment parfois de l’état de maturité physiologique qui, s’il n’est pas abouti, peut donner lieu à des notes végétales. Pour d’autres, l’état de maturité physiologique, c’est-à-dire le goût du raisin, prime sur le niveau d’acidité.
Je pense que la vérité ne réside ni totalement dans la première théorie, ni dans la seconde mais qu’il y a du vrai dans chacune d’entre elles. Un millésime comme celui que nous venons de connaître sera forcément formateur pour continuer à apprendre sur les millésimes chauds et notamment sur la définition du moment parfait où s’alignent acidité, sucrosité, maturité et goût du raisin.
Les températures chaudes que nous avons connues pendant la vendange 2022, avec des après-midis où les températures ont parfois atteint 30-35°C, amènent à réfléchir une gestion différente :
– l’organisation de la cueillette plus tôt, à des heures plus fraîches pour offrir de meilleures conditions de travail aux équipes dans les vignes et chercher à privilégier les réceptions de raisins sur les pressoirs le plus tôt possible,
– la progression en termes de refroidissement des moûts après pressurage.Quoi qu’il en soit le réchauffement climatique et les conditions météorologiques nécessitent de fortes capacités d’adaptation et de réactivité.